Le monde de l’énergie demeure fragile mais dispose de moyens efficaces pour améliorer la sécurité énergétique et réduire les émissions

Bien que certaines des pressions immédiates causées par la crise énergétique mondiale se soient atténuées, les marchés de l’énergie, le contexte géopolitique et l’économie mondiale restent précaires, laissant subsister le risque de perturbations futures. Les prix des combustibles fossiles ont baissé par rapport à leurs pics de 2022, mais les marchés sont encore tendus et volatils. La poursuite des combats en Ukraine, plus d’un an après l’invasion par la Russie, s’accompagne maintenant d’un risque de conflit prolongé au Moyen-Orient. Le contexte macroéconomique est morose, avec une inflation persistante, une hausse des coûts d’emprunt et des niveaux d’endettement élevés. Aujourd’hui, la température moyenne à la surface du globe dépasse déjà de près de 1.2 °C les niveaux préindustriels, entraînant une série de vagues de chaleur et de phénomènes météorologiques extrêmes, et les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter chaque année. Le secteur de l’énergie est également le premier responsable de l’air pollué que plus de 90 % de la population mondiale respire et qui est lié à plus de 6 millions de décès prématurés par an. Les tendances positives concernant l’amélioration de l’accès à l’électricité ainsi qu’à des technologies et des combustibles non polluants et sûrs pour cuisiner ont ralenti et se sont même inversées dans certains pays.

Face à ce contexte complexe, l’émergence d’une nouvelle économie des énergies propres, propulsée par le solaire photovoltaïque et les véhicules électriques, ravive l’espoir. Les investissements dans les énergies propres ont augmenté de 40 % depuis 2020. Si l’incitation à réduire les émissions est une raison essentielle de cette augmentation, d’autres facteurs entrent également en jeu. Les arguments économiques en faveur des technologies propres matures sont solides. La sécurité énergétique joue également un rôle important, particulièrement dans les pays importateurs de combustibles, tout comme les stratégies industrielles et la volonté de créer des emplois dans le secteur des énergies propres. Toutes les technologies propres ne sont cependant pas en expansion et certaines chaînes d’approvisionnement, en particulier pour l’éolien, sont sous pression. Mais il existe des exemples indéniables montrant que le rythme du changement s’accélère. En 2020, une voiture vendue sur 25 était électrique ; en 2023, elles représentent une voiture pour cinq. Un ajout de plus de 500 gigawatts (GW) de capacité d‘énergies renouvelables est prévu en 2023, soit un nouveau record. Chaque jour, plus d’un milliard de dollars sont investis dans le déploiement de l’énergie solaire. Les capacités de production des composants essentiels d’un système énergétique propre, tels que les modules photovoltaïques et les batteries de véhicules électriques, se développent rapidement. Cette dynamique a récemment conduit l’Agence internationale de l’énergie à conclure, dans la mise à jour de sa feuille de route vers zéro émission nette (Net Zero Roadmap), qu’une voie limitant le réchauffement planétaire à 1.5 °C était certes très difficile, mais demeurait ouverte.

Solar PV capacity additions in the Stated Policies Scenario, 2015-2030

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Electric car sales in the Stated Policies Scenario, 2015-2030

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Economic growth in China, 2015-2030

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Cette nouvelle édition du World Energy Outlook (WEO, Perspectives énergétiques mondiales) fournit une base factuelle solide pour éclairer les choix auxquels sont confrontés les décideurs économiques et politiques en quête d’une transition énergétique rapide, sûre, abordable et inclusive. L’analyse ne présente pas une seule conception de l’avenir, mais explore différents scénarios qui reflètent les points de départ et les conditions du monde réel. Le scénario « Politiques annoncées » (Stated Policies Scenario, STEPS) montre la trajectoire qu’impliquent les politiques publiques les plus récentes en matière d’énergie, de climat et de développement industriel associé. Le scénario « Nouveaux engagements annoncés » (Announced Pledges Scenario, APS) suppose que tous les objectifs énergétiques et climatiques nationaux fixés par les gouvernements sont atteints dans les temps et dans leur intégralité. Malgré cela, de nombreux progrès supplémentaires sont encore nécessaires pour atteindre les objectifs du scénario « Zéro émission nette à l’horizon 2050 » (Net Zero Emissions by 2050, NZE), qui limite le réchauffement planétaire à 1.5 °C. Parallèlement à ces scénarios principaux, une exploration de certaines des principales incertitudes susceptibles d’influencer les tendances énergétiques futures est conduite. Cela inclut notamment les changements structurels de l’économie chinoise ainsi que le rythme du déploiement du solaire photovoltaïque à l’échelle mondiale.

Nous sommes en bonne voie pour voir toutes les énergies fossiles atteindre leur pic avant 2030

Un héritage de la crise énergétique mondiale pourrait être de marquer le début de la fin de l’ère des combustibles fossiles : l’élan derrière la transition énergétique est maintenant suffisant pour que les demandes mondiales en charbon, en pétrole et en gaz naturel atteignent chacune leur maximum avant 2030 dans le scénario STEPS. La part du charbon, du pétrole et du gaz naturel dans la fourniture d’énergie mondiale, restée autour de 80 % pendant des décennies, commence à baisser et atteint 73 % à l’horizon 2030 dans le scénario STEPS. Il s’agit d’un basculement important. Cependant, si la demande en combustibles fossiles demeure élevée, comme cela a été le cas pour le charbon ces dernières années et comme c’est le cas dans les projections du scénario STEPS pour le pétrole et le gaz, ce basculement sera loin d’être suffisant pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux.

Oil demand by region in the Stated Policies Scenario, 2000-2050

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Coal demand by region in the Stated Policies Scenario, 2000-2050

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Natural gas demand by region in the Stated Policies Scenario, 2000-2050

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Les politiques publiques de soutien aux énergies propres sont efficaces et accélèrent la transformation des marchés clés à travers le monde. En grande partie grâce à la loi américaine sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act), nous prévoyons maintenant que 50 % des nouvelles voitures aux États-Unis seront électriques en 2030 dans le scénario STEPS. Il y a deux ans, dans le WEO-2021, ce chiffre n’était que de 12 %. Dans l’Union européenne en 2030, les installations de pompes à chaleur dans le scénario STEPS atteignent deux tiers du niveau requis par le scénario NZE. Cela ne représentait qu’un tiers dans les projections d’il y a deux ans. En Chine, les projections d’ajout de capacités solaire photovoltaïque et d’éolien en mer d’ici 2030 sont aujourd’hui trois fois supérieures à celles du WEO-2021. Les perspectives du nucléaire se sont également améliorées dans les principaux marchés. Des mesures en faveur du prolongement de la durée de vie des réacteurs nucléaires existants ont été prises dans des pays tels que le Japon, la Corée et les États-Unis, et d’autres favorisant la construction de nouveaux réacteurs ont été adoptées dans une série de pays supplémentaires.

Même si la demande en combustibles fossiles a été forte ces dernières années, nous observons les signes d’un changement de direction. Parallèlement au déploiement d’alternatives à faibles émissions, le rythme d’ajout de nouveaux actifs fossiles a ralenti. Les ventes de voitures et de véhicules à deux ou trois roues équipés de moteurs thermiques sont de loin inférieures à leur niveau d’avant la pandémie de Covid-19. Dans le secteur de l’électricité, l’ajout de nouvelles centrales à charbon et au gaz naturel dans le monde a été divisé par deux, au minimum, comparé aux pics de construction antérieurs. Les ventes de chaudières à gaz résidentielles sont à la baisse et sont maintenant dépassées par les ventes de pompes à chaleur dans de nombreux pays européens et aux États-Unis.

La Chine a changé le monde de l’énergie, mais la Chine change à son tour

La Chine joue un très grand rôle dans les tendances énergétiques mondiales ; cette influence évolue à mesure que son économie ralentit et se restructure, et que le recours aux énergies propres augmente. Au cours des dix dernières années, la Chine a représenté près des deux tiers de l’augmentation de la consommation mondiale de pétrole, près d’un tiers de la hausse de la consommation de gaz naturel et a été le principal acteur sur les marchés du charbon. Il est néanmoins largement reconnu, y compris par les dirigeants du pays, que l’économie chinoise atteint un point d’inflexion. Après un développement très rapide des infrastructures du pays, les possibilités de nouvelles extensions se réduisent. Le pays dispose déjà d’un réseau de trains à grande vitesse de classe internationale ; quant à la surface résidentielle par habitant, elle est désormais égale à celle du Japon, bien que le PIB par habitant soit encore bien inférieur. Cette saturation laisse entrevoir une baisse de la demande dans de nombreux secteurs énergivores comme le ciment et l’acier. La Chine fait également preuve d’un dynamisme exceptionnel dans les énergies propres, représentant près de la moitié des ajouts de solaire et d’éolien et bien plus de la moitié des ventes de véhicules électriques à l’échelle mondiale en 2022.

L’élan derrière la croissance économique de la Chine s’essouffle et une baisse supplémentaire de la demande en combustibles fossiles est possible si le ralentissement s’accentue. Dans nos scénarios, la croissance du PIB de la Chine se situe en moyenne juste sous la barre des 4 % par an jusqu’en 2030. Cela entraine un pic de sa demande énergétique totale vers le milieu de la décennie, et l’expansion robuste des énergies propres fait décliner la demande en combustibles fossiles ainsi que les émissions. Si la croissance à court terme de la Chine ralentissait d’un point de pourcentage supplémentaire, la demande en charbon en 2030 serait réduite d’une quantité presque égale au volume actuellement consommé par l’ensemble de l’Europe. En volume, les importations de pétrole diminueraient de 5 % et les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) de plus de 20 %, avec des répercussions majeures sur les équilibres mondiaux.

De nouvelles dynamiques d’investissement prennent forme

La fin de l’ère de la croissance des combustibles fossiles ne signifie pas pour autant l’arrêt des investissements dans les combustibles fossiles, mais elle rend cependant injustifiable l’augmentation des dépenses dans le secteur. Jusqu’à cette année, pour être satisfaite, l’augmentation de la demande prévue dans le scénario STEPS nécessitait une augmentation des investissements dans le pétrole et le gaz lors de cette décennie. Ce n’est désormais plus le cas grâce à des perspectives plus favorables concernant les énergies propres et une demande en combustibles fossiles plus faible. Cependant, les investissements dans le pétrole et le gaz sont actuellement presque deux fois supérieurs au niveau requis dans le scénario NZE en 2030, faisant peser le risque clair d’une utilisation prolongée des énergies fossiles qui mettrait l’objectif de 1.5 °C hors d’atteinte.

Annual investment in fossil fuels and clean energy, 2015-2023

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Annual investment in clean energy by scenario, 2030

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Annual investment in fossil fuels by scenario, 2030

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À elle seule, la réduction des dépenses dans le secteur pétrolier et gazier ne suffira pas à mettre le monde sur la voie du scénario NZE ; la clé d’une transition ordonnée consiste à augmenter les investissements dans toutes les dimensions d’un système énergétique propre. Le développement d’un système énergétique propre et son effet sur les émissions peut être renforcé par des politiques facilitant la sortie des actifs inefficaces et polluants, par exemple les centrales à charbon vieillissantes, ou restreignant l’entrée de nouveaux actifs de ce type dans le système. L’urgence consiste cependant à parvenir à accélérer le rythme des nouveaux projets d’énergie propre, en particulier dans de nombreuses économies émergentes et en développement hors de la Chine, dans lesquelles les investissements dans la transition énergétique doivent être plus que quintuplés d’ici 2030 pour atteindre les niveaux requis dans le scénario NZE. Renouveler cet effort, en incluant un soutien international plus fort, sera vital pour surmonter des obstacles tels que les coûts élevés du capital, de faibles marges de manœuvre budgétaires pour l’aide publique ainsi que des environnements économiques difficiles.

Répondre aux besoins de développement de façon durable est essentiel pour progresser plus rapidement

Les pics de demande pour chacune des trois énergies fossiles masquent d’importantes disparités entre les économies à différents stades de développement. Les moteurs de la croissance de la demande en services énergétiques demeurent très solides dans la plupart des économies émergentes et en développement. Les taux d’urbanisation, l’espace construit par habitant ainsi que la possession de climatiseurs et de véhicules sont bien plus faibles que dans les économies avancées. La population mondiale devrait croître d’environ 1.7 milliard de personnes d’ici 2050, dont la quasi-totalité se trouvera dans des zones urbaines en Asie et en Afrique. L’Inde est la plus grande source de croissance de la demande énergétique mondiale dans le scénario STEPS, devant l’Asie du Sud-Est et l’Afrique. Trouver et financer des moyens à faibles émissions permettant de répondre à la demande énergétique croissante de ces économies déterminera en grande partie la vitesse à laquelle la consommation de combustibles fossiles diminuera.

L’électrification, les améliorations en termes d’efficacité énergétique et le passage à des combustibles bas ou zéro-carbone constituent des leviers clés pour permettre aux économies émergentes et en développement d’atteindre leurs objectifs énergétiques et climatiques nationaux. Se mettre sur la bonne voie pour atteindre ces objectifs, y compris les objectifs de zéro émission nette, aura de vastes implications pour les futures trajectoires. En Inde, chaque dollar de valeur ajoutée par l’industrie du pays engendrera 30 % de dioxyde de carbone (CO2) en moins d’ici 2030 par rapport à aujourd’hui, et chaque kilomètre parcouru par une voiture particulière émettra 25 % de CO2 en moins en moyenne. Quelque 60 % des véhicules à deux ou trois roues vendus en 2030 seront électriques, une part dix fois plus élevée qu’aujourd’hui. En Indonésie, la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité sera multipliée par deux à l’horizon 2030 et dépassera 35 %. Au Brésil, les biocarburants répondront à 40 % de la demande de carburant pour le transport routier d’ici la fin de la décennie, contre 25 % aujourd’hui. En Afrique subsaharienne, l’atteinte de divers objectifs énergétiques et climatiques nationaux implique que 85 % des nouvelles installations de production d’électricité à l’horizon 2030 seront renouvelables. Des progrès importants sont accomplis sur la voie de l’accès universel aux énergies modernes, avec quelque 670 millions de personnes qui accéderont à des combustibles non polluants et sûrs pour cuisiner et 500 millions à l’électricité d’ici 2030.

Les vastes capacités de production de panneaux solaires dans le monde offrent un potentiel additionnel considérable pour le solaire photovoltaïque

Les renouvelables représentent 80 % des ajouts de capacité électrique d’ici 2030 dans le scénario STEPS, le solaire photovoltaïque seul comptant pour plus de la moitié. Cela ne fait toutefois appel qu’à une fraction du potentiel mondial. Le solaire est devenu une industrie majeure à l’échelle planétaire et est en passe de transformer les marchés de l’électricité, même dans le scénario STEPS. Il existe cependant une marge de croissance supplémentaire significative compte tenu de la production planifiée et de la compétitivité de cette technologie. D’ici la fin de la décennie, le monde pourrait disposer de capacités de production dépassant 1 200 GW de panneaux par an. Néanmoins, dans le scénario STEPS, seuls 500 GW sont déployés chaque année à travers le monde en 2030. À partir de tels niveaux, accélérer le déploiement soulève des questions complexes. Cela nécessiterait des mesures, telles que l’expansion et le renforcement des réseaux ainsi que l’ajout de capacités de stockage, afin de permettre d’intégrer plus de solaire photovoltaïque dans les systèmes électriques et d’en optimiser l’impact. Les capacités de production sont également très concentrées : la Chine est déjà le plus grand producteur et ses plans de développement dépassent largement ceux des autres pays. Les échanges commerciaux resteront donc indispensables pour soutenir le déploiement mondial de l’énergie solaire.

Solar PV manufacturing capacity and additions in the Stated Policies Scenario, 2015-2030

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Global coal use in the power sector, 2022 and 2030

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Global natural gas use in the power sector, 2022 and 2030

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L’utilisation de 70 % des capacités de production de panneaux solaires anticipées pour 2030 amènerait leur déploiement aux niveaux projetés dans le scénario NZE ; une intégration efficace réduirait encore davantage la consommation d’énergies fossiles, en premier lieu le charbon. Dans une étude de cas, nous explorons la manière dont les projections du scénario STEPS changeraient si le monde ajoutait plus de 800 GW de solaire photovoltaïque par an d’ici 2030. Les conséquences seraient particulièrement marquées en Chine, où la production des centrales à charbon diminuerait de 20 % supplémentaires à l’horizon 2030 par rapport aux projections du scénario STEPS. Sans supposer de mises à l’arrêt supplémentaires, le facteur de charge annuel moyen des centrales à charbon chuterait autour de 30 % en 2030, contre plus de 50 % à l’heure actuelle. Les répercussions s’étendraient cependant bien au-delà de la Chine : selon cette hypothèse, plus de 70 GW de solaire photovoltaïque seraient déployés en moyenne chaque année jusqu’en 2030 en Amérique latine, en Afrique, en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient. Même avec un écrêtement modeste dans ces régions, cela réduit la production d’électricité à partir de combustibles fossiles de près d’un quart en 2030 par rapport au scénario STEPS. Le solaire photovoltaïque seul ne suffit pas à mettre le monde sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs climatiques, mais, plus que toute autre technologie propre, il peut montrer le chemin à suivre.

Une vague de nouveaux projets d’exportation de gaz naturel liquéfié va remodeler les marchés du gaz

À compter de 2025, une arrivée massive de nouveaux projets de gaz naturel liquéfié (GNL) devrait faire basculer l’équilibre des marchés et les préoccupations concernant l’approvisionnement en gaz naturel. Ces dernières années, les marchés gaziers ont été dominés par des craintes liées à la sécurité et à la flambée des prix après la réduction des approvisionnements de la Russie vers l’Europe. L’équilibre des marchés demeure précaire dans le futur proche, mais la situation change au milieu de la décennie. Les projets dont la construction a commencé ou pour lesquels une décision d’investissement finale a été prise devraient ajouter 250 milliards de mètres cubes de capacité de liquéfaction par an d’ici 2030, ce qui équivaut à presque la moitié de l’approvisionnement mondial actuel en GNL. Les délais annoncés indiquent un accroissement particulièrement important entre 2025 et 2027. Plus de la moitié des nouveaux projets sont prévus aux États-Unis et au Qatar.

Ce GNL supplémentaire arrive à un moment incertain pour la demande en gaz naturel et crée des difficultés majeures pour la stratégie russe de diversification vers l’Asie. La forte augmentation des capacités de production de GNL apaise les préoccupations liées aux prix et aux approvisionnements gaziers, mais elle arrive sur le marché alors que la croissance de la demande mondiale en gaz a considérablement ralenti depuis son « âge d’or » dans les années 2010. Parallèlement au gaz vendu aux utilisateurs finaux par l’intermédiaire de contrats à long terme, nous estimons que plus d’un tiers de ce nouveau gaz cherchera des acheteurs sur le marché à court terme. Cependant, les marchés parvenus à maturité, notamment en Europe, évoluent vers un déclin structurel plus marqué et les marchés émergents pourraient ne pas disposer des infrastructures nécessaires pour absorber des volumes beaucoup plus importants en cas de ralentissement de la demande de gaz en Chine. La surabondance de GNL signifie que les opportunités pour la Russie de conquérir de nouveaux marchés sont très limitées. La part de la Russie dans les échanges internationaux de gaz, qui s’élevait à 30 % en 2021, diminue de moitié à l’horizon 2030 dans le scénario STEPS.

Accessibilité économique et résilience sont les mots d’ordre pour l’avenir

La situation tendue au Moyen-Orient est un rappel des risques sur les marchés pétroliers un an après la réduction des approvisionnements gaziers de la Russie vers l’Europe. La vigilance en matière de sécurité d’approvisionnement dans le secteur pétrolier et gazier demeure essentielle tout au long de la transition énergétique et nos projections mettent en évidence la manière dont la balance commerciale et les vulnérabilités potentielles évoluent au fil du temps. Dans le scénario STEPS, la part du commerce maritime de pétrole brut du Moyen-Orient vers l’Asie augmente de 40 % aujourd’hui à 50 % à l’horizon 2050. L’Asie est également la destination finale de la quasi-totalité des approvisionnements supplémentaires en GNL provenant du Moyen-Orient.

La crise énergétique mondiale n’a pas été une crise des énergies propres, mais elle a attiré l’attention sur l’importance de garantir des transitions rapides, centrées sur les besoins des personnes et ordonnées. Trois questions étroitement liées ressortent : les risques en matière d’accessibilité économique, la sécurité de l’approvisionnement en électricité et la résilience des chaînes d’approvisionnement des énergies propres. La protection des consommateurs face à la volatilité des prix des combustibles en 2022 a coûté aux gouvernements 900 milliards de dollars d’aide d’urgence. Ces dépenses peuvent être limitées à l’avenir à condition de déployer à grande échelle des technologies propres et peu coûteuses, particulièrement pour les ménages les plus modestes, les communautés et les pays qui ont du mal à financer les investissements initiaux nécessaires. À mesure que le monde évolue vers davantage d’électrification et vers un système reposant sur les énergies renouvelables, la sécurité d’approvisionnement électrique devient elle aussi primordiale. La hausse des investissements dans des réseaux électriques robustes et digitalisés doit s’accompagner du recours aux batteries et aux mesures de pilotage de la demande pour fournir de la flexibilité à court terme ainsi que de technologies à plus faibles émissions pour la flexibilité saisonnière. Ces dernières incluent notamment l’hydroélectricité, le nucléaire, les combustibles fossiles avec captage, utilisation et stockage du carbone, la bioénergie, l’hydrogène et l’ammoniac.

La diversification et l’innovation sont les meilleures stratégies pour gérer les problèmes de dépendance des chaînes d’approvisionnement des technologies propres et des minerais critiques. Une série de stratégies est en place pour renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement des énergies propres et réduire les niveaux élevés de concentration actuels, mais elles mettront du temps à porter leurs fruits. Les investissements dans l’exploration et la production augmentent à travers le monde pour les ressources minérales critiques comme le lithium, le cobalt, le nickel ou encore les terres rares, mais en 2022, la part des trois premiers producteurs demeure soit inchangée soit supérieure aux niveaux de 2019. Notre suivi des projets annoncés suggère que les niveaux de concentration resteront élevés en 2030, surtout pour les activités de raffinage et de traitement. De nombreux projets dans les secteurs intermédiaires de la chaine d’approvisionnement sont en cours de développement dans les grandes régions productrices actuelles, la Chine abritant la moitié des usines de lithium prévues et l’Indonésie représentant près de 90 % des installations de raffinage de nickel planifiées. Parallèlement aux investissements pour diversifier les approvisionnements, les politiques publiques encourageant l’innovation, la substitution de ressources minérales et le recyclage peuvent modérer les tendances du côté de la demande et ainsi alléger les pressions sur les marchés. Elles constituent des éléments essentiels pour assurer la sécurité des approvisionnements en minerais critiques.

Market size and concentration of selected energy-related refined commodities

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Nous devons aller beaucoup plus loin et plus vite, mais un monde fragmenté ne sera pas à la hauteur pour relever les défis de sécurité énergétique et climatiques

Des technologies et des mesures éprouvées sont disponibles pour concilier les enjeux de sécurité énergétique et de durabilité, accélérer le rythme de la transition au cours de cette décennie et laisser la porte ouverte à l’objectif de 1.5 °C. Dans le scénario STEPS, le pic des émissions de CO2 liées à l’énergie est atteint au milieu des années 2020, mais elles demeurent suffisamment élevées pour faire grimper la température moyenne mondiale d’environ 2.4 °C en 2100. Ce résultat s’est amélioré au fil des éditions successives du WEO, mais il laisse encore entrevoir des impacts sévères et de grande envergure liés au changement climatique. Les actions clés nécessaires pour infléchir la courbe des émissions à l’horizon 2030 sont largement connues et, dans la plupart des cas, très peu coûteuses. Ainsi, tripler la capacité installée d’énergie renouvelable, doubler le rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique en le portant à 4 % par an, électrifier les usages et réduire radicalement les émissions de méthane provenant de l’exploitation des énergies fossiles assurent ensemble plus de 80 % de la baisse des émissions requise d’ici 2030 pour mettre le secteur de l’énergie sur la voie permettant de limiter le réchauffement à 1.5 °C. Parallèlement, des mécanismes de financement innovants et à grande échelle sont nécessaires pour soutenir les investissements dans les énergies propres dans les économies émergentes et en développement, de même que le sont des mesures visant à garantir une réduction ordonnée de l’utilisation des combustibles fossiles, incluant la fin des approbations de nouvelles centrales à charbon non équipées de dispositif de captage du CO2. Si chaque pays doit trouver sa propre voie, qui se doit d’être inclusive et équitable afin d’assurer l’adhésion des citoyens, cet ensemble de mesures globales fournit toutefois des ingrédients essentiels au succès de la COP28, conférence internationale sur le changement climatique qui se tiendra à Dubaï en décembre.

Global primary energy intensity improvements in the Net Zero Emissions by 2050 Scenario, 2022 and 2030

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Global renewables power capacity in the Net Zero Emissions by 2050 Scenario, 2022 and 2030

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Global methane emissions from fossil fuel operations in the Net Zero Emissions by 2050 Scenario, 2022 and 2030

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Global fossil fuel demand in the Net Zero Emissions by 2050 Scenario, 2022 and 2030

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Clean energy investment in emerging market and developing economies in the Net Zero Scenario Emissions by 2050, 2022 and 2030

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Aucun pays n’est une île énergétique et aucun n’est à l’abri des risques liés au changement climatique. Le besoin de collaboration internationale n’a jamais été aussi grand. Dans la période de tension actuelle, les gouvernements doivent trouver des moyens de sauvegarder la coopération sur l’énergie et le climat, notamment en adoptant un système de commerce international régulé et en favorisant l’innovation ainsi que le transfert de technologies. Faute de quoi, les chances de limiter l’augmentation des températures mondiales à 1.5 °C disparaitront. Les perspectives en matière de sécurité énergétique seront également critiques si nous perdons les bénéfices apportés par des marchés de l’énergie interconnectés et fonctionnels afin de surmonter de futurs chocs.

Cinquante ans après le premier choc pétrolier, le monde dispose de solutions pérennes pour lutter contre l’insécurité énergétique qui peuvent aussi aider à faire face à la crise climatique. Il y a 50 ans, lors du premier choc pétrolier, les pouvoirs publics ont résolument mis en jeu deux interventions décisives : l’une concernant l’efficacité énergétique et l’autre l’électricité à faible émission, dominée à l’époque par l’hydroélectricité et le nucléaire. Les décideurs actuels dans le domaine de l’énergie sont à nouveau confrontés à des tensions géopolitiques et au risque de chocs énergétiques, mais ils ont aujourd’hui à leur disposition une palette beaucoup plus large de technologies propres très compétitives accompagnée d’une riche expérience politique sur la manière d’accélérer leur déploiement. L’étape cruciale consiste donc à mettre en œuvre ces solutions aisément mobilisables.